samedi 23 janvier 2016

Difunta Correa

La Difunta Correa est une sainte (non reconnue officiellement par l’Église catholique) à laquelle il est voué un culte important en Argentine et dans les pays alentour. Son histoire prend place dans la région désertique de San Juan, près de la cordillère des Andes, dans les années 1840.

Dans cette période de guerres civiles, le mari de Marià Antonia Deolinda Correa s’était fait emprisonner. Inquiète et dévouée, Deolinda Correa entreprend de le retrouver afin de s’occuper de lui. Ainsi, elle suit les traces des militaires dans le désert, accompagnée de son enfant encore nourrisson. Lorsqu’elle arrive au bout de ses vivres, au sommet d’une colline, épuisée, affamée et sentant qu’elle allait mourir de soif, elle s’allonge à l’ombre d’un arbre et s’abandonne à la mort en priant Dieu de sauver son enfant qu’elle tient dans ses bras. Et le miracle s’accomplit. Trois jours plus tard, des paysans de Vallecito, le village le plus proche, découvrent le corps mort de Deolinda Correa, mais le nourrisson est vivant, toujours accroché au sein de sa mère. Ils récupèrent l’enfant qu’ils élèveront et donnent une sépulture et une tombe à la pauvre femme. Peu de temps après, un riche gaucho de passage (Don Pedro Flavio Zeballos) perd tout son troupeau dans les collines suite à une tempête. Sur le conseil des paysans locaux, il se recueille sur la tombe de la défunte (une simple croix) et implore son aide, lui promettant de lui construire un sanctuaire. Une fois son bétail retrouvé, le gaucho tient sa promesse et érige une chapelle sur le haut de la colline où son corps a été retrouvé. C’est ainsi qu’est né le culte de la Difunta Correa.

La chapelle du sport.
Sur ce même lieu, il existe maintenant une trentaine de chapelles, chacune dédiée à un thème particulier (celle du sport, celle de la police, de l’armée, des mariées, des constructeurs, etc.). Selon le modèle de l’histoire du gaucho Don Pedro, la tradition veut qu’un premier pèlerinage soit effectué, où une requête est adressée à la Difunta Correa et où sa protection est invoquée, puis un deuxième lorsque le vœu a été exaucé, où le fidèle amène une offrande symbolisant le vœu et sa réalisation pour remercier la sainte. On trouve ainsi de multiples objets dans ces chapelles et aux alentours : des tresses de cheveux, des horloges, des robes de mariée, des radios, des cahiers scolaires, des plâtres, des offrandes votives qui font référence à des organes ou des parties du corps humain (cœur, foie, jambe), des colliers, des lettres, des vêtements d’enfant, des lolettes, des poupées, des peluches, des trophées sportifs, des bijoux, des cannes, des plaques de voiture, des voitures miniatures, des maquettes de camions, d’autobus et surtout de maisons, etc. Entre toutes ces offrandes, la photographie constitue un objet symbolique particulièrement utilisé dans la dévotion dédiée à la Difunta Correa: on en trouve des millions, les plus vieilles remontant au début du siècle, en noir et blanc et en couleur, où les fidèles se représentent dans des moments importants de leur vie (mariages, naissances, baptêmes, anniversaires), et indiquent le passage du temps, au travers des circonstances de la vie. On trouve par exemple plusieurs photos d'un même enfant à différents stades de son développement, ou des images qui parlent d'un avant et d’un après : un malade qui a guéri, un autre avec des béquilles qui maintenant marche. On trouve aussi des photos qui représentent des accomplissements : des logements achevés, des entreprises prospères, des équipes de football victorieuses, etc.


Autel au bord de la route.
Un autre aspect de cette dévotion se déploie dans toute l’Argentine et de manière plus modeste. La Difunta Correa fait partie de ces « Santos ruteros », c’est-à-dire de ces saints auxquels on adresse des petits autels le long des routes. Ceux de la défunte sont reconnaissables par les montagnes de bouteilles d’eau que les fidèles déposent en offrande devant des chapelles miniatures, parfois très rudimentaires. Toute cette eau pour conjurer la soif fatale de Deolinda Correa.
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jeudi 7 janvier 2016

Les dessins d'Annie Pootoogook

Smoking, 2004.

Le destin d’Annie Pootoogook est digne d’un de ces films où l’on assiste à l’excitante ascension d’une vie, son succès, pour ensuite être entraîné dans sa chute.

Cape Dorset, –22 degré, 1300 habitants.
Annie Pootoogook est une artiste canadienne née en 1969 à Cape Dorset, un village inuit proche du grand Nord. Depuis les années 1950, il est de tradition de vivre de l’art dans ce village. Une coopérative, la West Baffin Eskimo Co-op (Dorset Fine Arts), s’occupe des intérêts des artistes et des artisans locaux et propose au reste du Canada un art inuit très inspiré, avec ses codes et ses stéréotypes. C’est à l’âge de 28 ans, après avoir déjà mené une vie troublée par de mauvaises fréquentations et la rigueur de l’Arctique, qu’Annie Pootoogook se lance dans le dessin, encouragée par les membres de sa famille (beaucoup sont artistes pour le compte de la coopérative).

Les dessins d’Annie Pootoogook sont d’une composition très simple, frontale, avec un style légèrement naïf. Ils dépeignent la réalité brute de la vie dans le grand Nord. Loin des clichés véhiculés par l’art inuit traditionnel, loin des images de banquise et de chasse, ces dessins montrent des instants de la vie quotidienne dans l’Arctique moderne, sans fard : la préparation des repas, les enfants jouant aux jeux vidéo, les hommes se saoulant ou regardant de la pornographie, les étales spartiates du supermarché de Cape Dorset, un homme frappant sa femme, un homme dormant à côté d’une bible. Il ressort de ces représentations, souvent claustrophobique, une véracité et une puissance immédiate. Ces dessins sont touchants de sincérité, et le style et la touche d’humour d’Annie Pootoogook viennent alléger les thèmes traités, pour en faire une œuvre singulière.

Au début, la coopérative ne voulait pas publier les dessins d’Annie Pootoogook, n’y voyant pas de potentiel commercial. Mais c’est sans doute cette singularité que Patricia Feheley, directrice d’une galerie d’art spécialisée dans l’art inuit au centre de Toronto, a flairée lors d’un de ses voyages à Cape Dorset. Dès 2002, elle intègre les dessins d’Annie Pootoogook dans sa galerie, et, voyant l’intérêt du publique grandir, elle lui consacre une première exposition monographique en 2006. À partir de là, c’est une fulgurante ascension qui entraîne l’artiste dans les hautes sphères de l’art contemporain. Sortant complètement du ghetto de l’art inuit, elle est exposée dans de prestigieuses galeries, se retrouve à la Art Basel, en résidence artistique en Écosse, sujet de documentaire et de livre, à la très sérieuse Documenta 12 de Kassel (en Allemagne), et pour couronner le tout, elle gagne un des prix artistiques les plus importants du Canada, le Sobey Award (50’000$). À cette époque, ses dessins se vendent aux alentours de 3000$. Annie Pootoogook réunit sans doute à ce moment-là tout ce qu’il faut pour être estimée de la sorte par le monde de l’art.

Annie Pootoogook en 2012.
Fort de ce succès et riche de cette manne financière, Annie Pootoogook quitte son Cape Dorset natal pour venir s’installer au Sud, à Ottawa. Du petit village du Nord à la grande ville, il semblerait qu’elle ait de quoi se perdre et de quoi dépenser son argent. Petit à petit, elle cesse de dessiner, se ruine et disparaît, comme si elle n’avait pas réussi à surmonter cette soudaine notoriété. Elle retrouve ses vieux démons et de nouveaux aussi. Sa chute est si intense, si foudroyante, qu’elle se retrouve actuellement à la rue, toute marquée par la vie, l’alcool et la drogue. Elle dessine parfois pour vendre à la sauvette un dessin à 20$...


A friend visits, 2008.
Evil Spirit, 2003.
Meal, 2006.
Playing Nintendo, 2005.
Leaving for work, 2004.
Dr Phil, 2006.
Watching erotic film, 2003.
Bra, 2006.
Cape Dorset Freezer, 2006.
 Licking the plate clean, 2004.
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